« La vraie philosophie se moque de la philosophie ». Avec Deleuze l'assertion de Pascal prend une dimension nouvelle : la vraie philosophie n'aime pas la philosophie. Ou plutôt le vrai philosophe n'aime pas philosopher. Non pas que le philosophe supplante sa discipline pour devenir un Penseur qui n'a que faire des carcans philosophiques, comme voulait le dire Pascal, mais avec Deleuze le philosophe souffre de philosopher. Ni au-delà, ni en deçà, mais de manière frontale le philosophe deleuzien en découd et s'affronte pour connaître la vérité. Plus « anti-sophique » que « philo-sophique », sa démarche n'est plus celle d'un amoureux du savoir, ni même celle du philosophe de Pascal qui s'ignore, mais celle d'un penseur malgré lui. La Recherche atteste que toute vérité est vérité du temps. Faire œuvre de philosophie chez Proust, revient à y passer sa vie. La patience, le temps qui s'écoule, et la vérité qui prend forme avec une extrême lenteur : l'œuvre colossale de Proust est de la dimension d'une vie entière. Toute une vie pour, à son accomplissement, comprendre le sens de l'écoulement du temps. Bien ingrate démarche. Philosophie : amour de la sagesse, ami du savoir. Proust oppose au binôme philosophie/amitié le couple art/amour. Il fait un parallèle entre l'amitié et la philosophie, qui réside dans la complaisance. Une amitié de complaisance c'est-à-dire une communauté topique d'intérêts, une direction convenue en bonne intelligence. Un sens commun. De même que la philosophie, en tant qu'amie de la sagesse, ne peut que connaître une sagesse amicale, au détriment d'une vérité hostile. Ainsi « la philosophie comme l'amitié ignore les zones obscures où s'élaborent les forces effectives qui agissent sur la pensée, les déterminations qui nous "forcent" à penser2 ». Plus important que la pensée, il y a ce qui donne à penser. Plus important qu'Israël, il y a le sentiment Israël. Sans le vouloir, en luttant même contre parfois, s'est imposé à Herzl le sentiment Israël. L'amour de la philosophie chez Deleuze s'apparente plus au sentiment amoureux passionnel et destructeur, qu'à l'amour en tant que bonne disposition pour la sagesse, ou discipline de prédilection. « Le leitmotiv du Temps retrouvé c'est le mot "forcer" ; des impressions qui nous forcent à regarder, des rencontres qui nous forcent à interpréter, des expressions qui nous forcent à penser3 ». Swann subit ces réminiscences, il n'est pas libre de les choisir, elles lui sont données telles quelles. Ce qui donne à penser ce sont les signes. Les signes qui additionnés forment le faisceau d'indices, le dessin fumigène de la vérité. Et le signe procède d'une rencontre fortuite, et non désirée pour le cas de Herzl. Le sens, enclos dans le signe, éclos dans l'Idée. C'est la jalousie qui pousse Swann à découvrir, au hasard d'une impression, la vérité qu'il redoute, et non pas l'amour de cette vérité. Le philosophe pré-deleuzien traque la vérité. Le philosophe de Deleuze, lui, est un chasseur à l'affût ; il attend le signe, l'opportunité, mais ne cherche pas en amont ce qu'il découvre en aval. Avant Deleuze, la philosophie s'entendait d'un raisonnement a priori : « en philosophie, l'intelligence vient toujours avant ». Or, au contraire « le propre des signes, c'est qu'ils font appel à l'intelligence en tant qu'elle vient après ».
Gyslain Di Caro in Theodor Herzl sur le divan de Gilles Deleuze
Sem comentários:
Enviar um comentário