Pour dire un mot de moi-même : J'ai vu quelquefois mes amis appeler prudence en moi, ce qui était fortune ; et estimer avantage de courage et de patience, ce qui était avantage de jugement et opinion ; et m'attribuer un titre pour autre ; tantôt à mon gain, tantôt à ma perte. Au demeurant, il s'en faut tant que je sois arrivé à ce premier et plus parfait degré d'excellence, où de la vertu il se fait une habitude ; que du second même, je n'en ai fait guère de preuve. Je ne me suis mis en grand effort, pour brider les désirs de quoi je me suis trouvé pressé. Ma vertu, c'est une vertu, ou innocence, pour mieux dire, accidentelle et fortuite. Si je fusse né d'une complexion plus déréglée, je crains qu'il fût allé piteusement de mon fait : car je n'ai essayé guère de fermeté en mon âme, pour soutenir des passions, si elles eussent été tant soit peu véhémentes. Je ne sais point nourrir des querelles, et du débat chez moi. Ainsi, je ne me puis dire nul grand-merci, de quoi je me trouve exempt de plusieurs vices :
si vitiis mediocribus, et mea paucis
Mendosa est natura, alioqui recta, velut si
Egregio inspersos reprehendas corpore nævos.
[Si ma nature, droite d'ailleurs, n'est entachée que de légers défauts,
si vitiis mediocribus, et mea paucis
Mendosa est natura, alioqui recta, velut si
Egregio inspersos reprehendas corpore nævos.
[Si ma nature, droite d'ailleurs, n'est entachée que de légers défauts,
et en petit nombre, tels que des marques naturelles dispersées sur un beau corps]
Je le dois plus à ma fortune qu'à ma raison. Elle m'a fait naître d'une race fameuse en prudhommie, et d'un très bon père ; je ne sais s'il a écoulé en moi une partie de ses humeurs, ou bien si les exemples domestiques, et la bonne institution de mon enfance, y ont insensiblement aidé ; ou si je suis autrement ainsi né ;
Seu libra, seu me scorpius aspicit
Formidolosus, pars violentior
Natalis horæ, seu tyrannus
Hesperiæ Capricornus undæ.
[Soit que le Balance ou le Scorpion morne,
Témoin redoutable à l’heure du berceau,
M'ait vu naître, ou bien le Capricorne,
Des mers d'Ouest tyrannique flambeau.] - Montaigne - De la cruauté (Essais; Livre II)
Je le dois plus à ma fortune qu'à ma raison. Elle m'a fait naître d'une race fameuse en prudhommie, et d'un très bon père ; je ne sais s'il a écoulé en moi une partie de ses humeurs, ou bien si les exemples domestiques, et la bonne institution de mon enfance, y ont insensiblement aidé ; ou si je suis autrement ainsi né ;
Seu libra, seu me scorpius aspicit
Formidolosus, pars violentior
Natalis horæ, seu tyrannus
Hesperiæ Capricornus undæ.
[Soit que le Balance ou le Scorpion morne,
Témoin redoutable à l’heure du berceau,
M'ait vu naître, ou bien le Capricorne,
Des mers d'Ouest tyrannique flambeau.] - Montaigne - De la cruauté (Essais; Livre II)
Sem comentários:
Enviar um comentário